2005

La Charte arabe des droits de l'homme

Mohammed Amin Al-Midani

La Charte arabe des droits de l'homme a connu une longue élaboration. Ainsi, l'idée d'une Convention arabe des droits de l'homme a été discutée, pour la première fois, lors d'une réunion des avocats arabes tenue à Damas en 1960 (1). Huit ans plus tard, la conférence de Beyrouth a formulé une recommandation dans laquelle elle a chargé la Commission permanente arabe pour les droits de l'homme d'élaborer une Charte arabe des droits de l'homme (2). La Commission a consacré six sessions à cette tâche. Le Secrétaire général de la Ligue a été appelé par la Commission, lors de sa quatrième session, à rédiger le texte dans un délai de six mois, en vue de l'envoyer aux Etats membres. Il était prévu que des experts de l'O.N.U. aient été sollicités pour accomplir cette mission.

Pour sa part, le Conseil de la Ligue a décidé dans sa résolution 2668 (30) du 10 septembre 1970, de formuler un comité d'experts en lui confiant la tâche d'élaborer un projet de Charte. Ce comité s'est réuni du 24 avril au 10 juillet 1971 au Secrétariat général de la Ligue. A la fin de ses travaux, il a adopté un premier projet de Charte qui a été ensuite soumis, aux Etats membres de la Ligue pour des commentaires. Huit Etats Arabes ont envoyé leurs commentaires, ce sont: l'Arabie saoudite, l'Egypte, l'Irak, la Jordanie, le Koweït, le Liban, la Libye, la Syrie et le représentant de l'O.L.P. (3).

Après son transfert à Tunis, le Secrétariat général de la Ligue a confié à deux experts la tâche d'élaborer le projet d'une Charte arabe des droits de l'homme. Dans leurs travaux ces experts ont tenu compte de deux principes: l'universalité et la particularité (4).

La division juridique du Secrétariat général de la Ligue des Etats arabes a achevé ce premier projet de la Charte arabe qui a été envoyé aux membres de la Ligue.

La Commission permanente arabe pour les droits de l'homme a rédigé, lors de sa cinquième réunion, tenue au mois de mars 1985, un nouveau projet de Charte arabe des droits de l'homme en tenant compte des observations et commentaires concernant le premier projet, envoyés par huit Etats arabes déjà cités. Mais le Conseil de la Ligue a refusé cette nouvelle version du projet. Pourtant, la Commission, lors de sa réunion tenue à Tunis le 17 janvier 1986, a mis l'accent de nouveau sur la nécessité d'étudier et d'analyser ce projet.

Un nouveau projet de Charte arabe des droits de l'homme a été préparé, au Caire, en 1993, par la Commission permanente arabe pour les droits de l'homme.

Ce nouveau projet a repris mot à mot le préambule ainsi que les trente-neuf articles déjà élaborés dans le premier projet, en changeant leur ordre numérique et en ajoutant quatre nouveaux articles. Il est divisé en quatre parties: les deux premières parties traitent des droits de l'homme déjà exposés dans le premier projet. La troisième partie parle d'un Comité d'experts des droits de l'homme. Enfin, la quatrième partie évoque l'entrée en vigueur de la Charte.

Enfin, le Conseil de la Ligue des Etats arabe a adopté, le 14 septembre 1994, la Charte arabe des droits de l'homme. Elle contient un préambule et quarante-trois articles (5).

1. Le préambule de la Charte

Ce préambule a mis l'accent, en premier lieu, sur le fait que Dieu a privilégié le monde arabe en faisant de lui «le berceau des révélations divines» à qui les principes de «la fraternité et l'égalité entre les hommes» ont été prêchés.

D'autre part, le monde arabe, conscient de cette réalité et de son rôle depuis la nuit des temps, a mené une lutte en vue d'accéder à l'indépendance et à la réalisation de son unité. Il n'a pas cessé de défendre le droit de disposer des richesses naturelles.

En insistant, ensuite, sur la liberté, la justice et l'égalité entre les hommes, le préambule attire, aussi, l'attention sur le racisme qui doit être combattu pour ses aspects discriminatoires.

Enfin, en proclamant l'attachement du monde arabe à la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme; le préambule insiste sur «le lien étroit entre les droits de l'homme et la paix mondiale».

2. Les droits énoncés dans la Charte arabe des droits de l'homme

Ces droits sont compatibles avec ceux énoncés dans les différents instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, à plusieurs points de vue: comme le principe de non-discrimination et les droits et libertés proclamés par les deux Pactes.

Ainsi, la Charte affirme dans sa 1ère Partie, article 1er, alinéa (a), le droit de tous les peuples à disposer d'eux-mêmes et à disposer de leurs richesses et de leurs sources naturelles. Il en est de même de leur droit de déterminer librement leur statut politique et d'assurer librement leur développement économique, social et culturel. Cet article 1er correspond ainsi à l'article 1er, paragraphe 1 et 2 des deux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme de 1966.

L'article 2 garantit à tout individu, homme ou femme, la jouissance de ses droits et de ses libertés énoncés dans la Charte «sans distinction aucune de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d'opinion politique, d'origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou toute autre situation».

Cinq articles de la Charte traitent des garanties juridiques, ce sont les articles 6, 7, 8, 9 et 10.

Par contre, la Charte ne parle pas, d'un côté, de l'abolition de la peine de mort, mais elle la limite. Ainsi, l'article 12 interdit son application aux jeunes de moins de dix-huit ans, à la femme enceinte jusqu'à son accouchement et à la femme qui allaite son enfant jusqu'à ce que ce dernier ait atteint l'âge de deux ans. Ce dernier cas est nouveau, et peut d'être c'est une spécificité de cette Charte, par rapport au paragraphe 5 de l'article 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et au paragraphe 5 de l'article 4 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme 1969. La Charte exclut, d'un autre côté, et dans son article 11, l'application de cette peine pour «un crime politique», ce qui évite, sûrement, le recours à celle-ci dans une région caractérisée par une répétition des coups d'état militaires, et par les régimes autoritaires.

Plusieurs articles de la Charte stipulent le respect des droits civils et politiques, comme par exemple: l'article 20 qui donne le droit à toute personne, résidant sur le territoire d'un Etat, de circuler librement et de choisir sa résidence en respectant les lois en vigueur. L'article 21 interdit d'empêcher, arbitrairement ou illégalement, le citoyen arabe de quitter n'importe quel Etat arabe y compris le sein, ou de l'empêcher de résider dans son pays ou de l'obliger à y résider. L'article 23 permet à tout citoyen, sauf l'accusé d'un crime de droit commun, persécuté ou opprimé de demander l'asile politique. Ce même article 23 interdit l'extradition des réfugiés politiques. Ces dispositions de la Charte correspondent aux dispositions de l'article 12 de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981. De même les dispositions des articles 26 et 27, qui affirment le droit de chaque individu à la liberté de religion, de pensée et d'opinion, ainsi que le droit de manifester sa religion ou sa conviction, par le culte et l'accomplissement des rites et d'enseignement sans porter atteinte aux droits d'autrui, correspondent aux dispositions de l'article 18 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

D'autre part, quelques articles, malgré leur importance capitale et leur signification pour le respect des droits de l'homme dans le monde arabe; pourraient empêcher, à notre avis, la ratification de cette Charte arabe par certains Etats. Ainsi, l'article 19 qui fait du peuple «le fondement et l'autorité et la capacité d'exercer des droits politiques». L'introduction de cet article, ne correspond pas à la doctrine politique et religieuse de quelques Etats membres de la Ligue et spécialement les pays de Golfe. De même pour l'article 29 qui assure le droit «de constituer des syndicats, et le droit de faire grève». Or, les législations de ces pays ne permettent jamais l'exercice de ces droits sur leur sol national.

La Charte consacre plusieurs articles aux droits économiques, sociaux et culturels. Il en est ainsi des articles 29, 30, 31 et 32 qui correspondent aux articles 7, 8 et 9 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels. Ces dispositions parlent du droit au travail et de ses conditions, du droit de former des syndicats et du droit de grève.

Outre les dispositions des articles 34, 35, 36 et 39 qui correspondent aux dispositions de l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; nous pouvons déceler deux particularités dans cette Charte arabe. La première particularité figure à l'article 34. Selon cet article, une obligation incombe aux Etats arabes de prendre toutes les mesures nécessaires pour combattre l'analphabétisme, ce fléau qui frappe une grande partie des citoyens arabes. Ajoutons à cela le droit, prévu par l'article 36, des citoyens arabes de profiter d'un milieu intellectuel et culturel favorable qui favorise le nationalisme arabe et qui respecte, surtout, les droits de l'homme. La deuxième particularité consiste, d'après l'article 39, dans le droit de la jeunesse à une action qui développe sa capacité intellectuelle et physique car cette jeunesse présente l'avenir du monde arabe et ses grands espoirs.

La famille est considérée, d'après l'article 38 alinéa (a) de la Charte, comme le noyau de la société arabe, ce qui correspond au paragraphe 1 de l'article 23 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. L'alinéa (b) de ce même article 38 incombe à l'Etat la charge d'accorder à la famille, à la maternité, à l'enfance et à la vieillesse, la protection et l'assistance nécessaire.

L'article 37 fait place aux droits des minorités de bénéficier de leur culture et de manifester leur religion par le culte et l'accomplissement des rites.

L'article 4 traite des limitations aux droits garanties par la Charte. Ainsi, l'alinéa (a) de cet article parle des restrictions aux droits et libertés reconnus par la Charte «pour la protection de la sécurité et de l'économie nationales, de l'ordre public, de la santé publique, de la morale ou des droits et libertés d'autrui». L'alinéa (b) évoque les dérogations aux droits et libertés garantis dans le cas «d'une situation menaçant la vie de la nation». Mais toutes ces mesures ne doivent porter, d'après l'alinéa (c), «aucune dérogation aux droits et garanties prévus contre la torture, les traitements inhumains, le droit d'entrer dans son propre pays, l'asile politique, le droit à un procès équitable, le droit de ne pas être jugé deux fois pour la même infraction et au principe de la légalité des délits et des peines».

Enfin, nous nous interrogeons, comme ce fut le cas de quelques auteurs (6), sur l'absence des devoirs dans cette Charte arabe! Et, il nous semble que les rédacteurs de celle-ci ont passé volontairement sous silence la question des devoirs. L'idée selon laquelle l'homme est celui qui est, toujours, menacé et son Etat est dans une position de force par rapport à lui, a conduit ces rédacteurs à s'intéresser davantage aux droits de l'homme au détriment de ses devoirs. Après tout, c'est une Charte des droits de l'homme et son adoption rendra justice à l'homme. Mais l'absence des devoirs risque, à notre avis, de diminuer la portée de celle-ci une fois entrée en vigueur.

3. Le Comité d'experts des droits de l'homme

La Charte arabe des droits de l'homme a consacré sa troisième partie (articles 40 et 41) aux compositions et compétences d'un Comité d'experts arabes.

a) La composition du comité d'experts

Ce Comité est composé, en vertu de l'article 40 de la Charte de sept membres et il ne peut comprendre plus d'un ressortissant du même État.

Les membres du Comité sont élus, au bulletin secret, par le Conseil de la Ligue, après six mois d'entrée en vigueur de la Charte, sur une liste de noms adressée par le Secrétaire général. Chaque Etat membre présente son candidat deux mois avant la date de l'élection.

Les candidats devront être des personnes reconnues pour leur expérience et leurs compétences notoires dans le domaine des droits de l'homme. Ils siègent à titre individuel et travaillent avec intégrité et impartialité.

Le Comité élit son président et établit son règlement intérieur. Il se réunit au siège du Secrétariat général de la Ligue et dans tout Etat arabe lorsque les circonstances l'exigent. Il est convoqué, dans les deux cas, par le Secrétaire général

b) Les compétences du comité d'experts

Le Comité examine, d'après l'art.41, para.2, les rapports présentés par les Etats membres un an après l'entrée en vigueur de la Charte ainsi que les rapports périodiques.

Chaque État contractant doit présenter trois rapports: un premier rapport un an après l'entrée en vigueur de la Charte, des rapports périodiques tous les trois ans et des rapports explicatifs qui contiennent des réponses aux questions du Comité (art.41, para.1).

Enfin, le Comité présente, d'après l'art.41, para.3, à la Commission permanente arabe pour les droits de l'homme un rapport général qui contient les avis et les explications des Etats contractants.

c) L'entrée en vigueur de la Charte

D'après l'article 42, para.1, le Secrétaire général présente la Charte aux Etats membres de la Ligue pour signature, ratification ou adhésion, après son adoption par le Conseil de la Ligue.

La Charte entrera en vigueur, deux mois après le dépôt du septième document de ratification ou d'adhésion auprès du Secrétariat général de la Ligue (art.42, para.2).

Enfin, la Charte entrera en vigueur, d'après l'art.43, pour chaque Etat membre, deux mois après le dépôt de son document de ratification ou d'adhésion auprès du Secrétariat général. Ce dernier en informera les Etats membres de la Ligue des Etats arabes.

Conclusion

L'adoption de la Charte arabe des droits de l'homme, par le Conseil de la Ligue des Etats arabes le 15 septembre 1994, à la veille des festivités du cinquantième anniversaire de la création de la Ligue; a marqué une étape importante dans l'évolution de la Ligue et dans sa position vis-à-vis des droits de l'homme.

Le préambule de cette Charte parle, d'un côté, des principes définis par les religions divines concernant la fraternité et l'égalité, et proclame, d'un autre côté, l'attachement des Etats membres de la Ligue, à la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, aux Pactes internationaux relatifs aux droits de l'homme de 1966, et à la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam de 1990. Mais le fait d'associer ces trois derniers textes, surtout la Déclaration du Caire aux deux premiers, pose la question de la compatibilité ou non de leurs normes protégeant les droits de l'homme.

D'autre part, les droits énoncés dans cette Charte arabe correspondent, dans leur majorité, aux dispositions d'autres instruments internationaux et régionaux relatifs aux droits de l'homme. Néanmoins, le mécanisme de contrôle de cette Charte est très éloigné de ce qu'espéraient les citoyens arabes et surtout les juristes dans le monde arabe. Nous n'hésiterons pas à qualifier ce mécanisme de «mécanisme primitif» comparé aux autres mécanismes prévus par des conventions régionales relatives aux droits de l'homme, comme les Conventions européenne et américaine des droits de l'homme. Même le mécanisme de contrôle de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples est plus développé par rapport à celui de la Charte arabe!

Il faut dire que tout progrès ou développement dans la politique de la Ligue des Etats arabes concernant les droits de l'homme dépend, à notre avis, des modifications qui pourraient être apportées, d'un côté, au statut de la Commission permanente arabe des droits de l'homme (7), et d'un autre côté, aux dispositions de la Charte arabe des droits de l'homme et de son entrée en vigueur dans le plus bref délai (8).

Nous signalons, enfin, que la Commission permanente arabe des droits de l'homme est consciente de la nécessité de «moderniser» les dispositions de la Charte arabe des droits de l'homme. Ainsi, elle a lancé un appel, lors de sa dernière réunion au Caire les 9 et 10 janvier 2002, aux Etats membres de la Ligue pour présenter leurs observations et propositions afin de moderniser cette Charte arabe, et pour présenter celles à la prochaine réunion du Conseil de la Ligue des Etats arabes au mois de septembre 2002.


Notes

1. LALIVE (J.-F.), «La protection des droits de l'homme dans le cadre des Organisations régionales existantes», in Les Droits de l'homme en droit interne et en droit international, Colloque international sur la Convention européenne des droits de l'homme, Vienne du 18 au 20 octobre 1965, Bruxelles, 1968, p. 509.

2. BOUTROS-GHALI (B.), «La Ligue des Etats Arabes» in Les dimensions internationales des droits de l'homme, Paris, Unesco, 1978, p. 638.

3. Hussein JAMIL, «Fi sabil insha mahkamat arabiyya li-hukuk al.insan», (Vers un projet d'un tribunal arabe pour les droits de l'homme), in al.dimukratiyya wa hukuk al.insan fi al.watan al.arabi, (La démocratie et les droits de l'homme en monde arabe), Beyrouth, 1984, p. 263 (en langue arabe).

4. Mohammed Amin AL-MIDANI, Les apports islamiques au développement du droit international des droits de l'homme, Thèse pour le Doctorat d'Etat en Droit, Université de Strasbourg III, octobre 1987, pp. 322-323.

5. Voir notre traduction de cette Charte dans la Revue Universelle des Droits de l'Homme, Vol. 7 Nº 4-6, 23 juin 1995, pp. 212-214.

6. MAHIOU (A.) «La Charte arabe des droits de l'homme» in L'évolution du droit international, Mélanges offerts à Hubert THIERRY, Paris, Pedone, 1998, p. 213.

7. Voir concernant cette Commission et ses compétences notre article: «La Liga de Estados Arabes y Los Derechos Humanos», in La Proteccion Universal Y Regional de Los Derechos Humanos, Instituto de Relaciones Internacionales Instituto de Relaciones Internacionales, Serie: Estudios, nº 6 Noviembre 1995, La Plata, Argentina, pp. 10-14.

8. Trois Etats arabes ont exprimé leur approbation concernant cette Charte, ce sont: l'Irak, le Qatar et la Syrie. Trois autres Etats ont fait des réserves, ce sont: le Bahreïn, les Émirats arabes unis et le Soudan. Voir, Hukuk al-insan fi al-watan al-arabi, (les droits de l'homme dans le monde arabe), rapport de l'Organisation arabe des droits de l'homme concernant les droits de l'homme dans le monde arabe, le Caire, 1995 (en langue arabe).