2008

Les récents développements au sein de l'Organisation de la Conférence Islamique et le respect des droits de l'homme (*)

Mohammed Amin Al-Midani

Introduction

Nous assistons, surtout en cette première décennie du troisième millénaire, à des développements importants et significatifs de l'histoire de l'Organisation de la Conférence islamique (O.C.I.) (1)

Nous allons analyser, dans cet article, les déclarations, les décisions et les communiqués finaux des différents Sommets islamiques de l'O.C.I. qui sont à la base des récents développements en faveur du respect des droits de l'homme, et qui ont été adoptés surtout par deux derniers Sommets islamiques, à savoir : le Sommet islamique exceptionnel de la Mecque (Arabie saoudite) de 2005 (I), et le 11e Sommet islamique ordinaire de Dakar (Sénégal) de 2008 (II).

I - Le Sommet islamique exceptionnel de 2005

Le troisième Sommet exceptionnel (2), s'est réuni à la Mecque (Arabie saoudite) les 7 et 8 décembre 2005. Il s'est achevé par l'adoption de plusieurs déclarations et documents officiels (3).

Quelques sujets sensibles ont été abordés par les dirigeants et les représentants des 57 Etats islamiques comme : les droits de l'homme et la bonne gouvernance, les droits de la femme, les droits de l'enfant, la lutte contre le terrorisme, la lutte contre l'islamophobie, la lutte contre la pauvreté en Afrique, l'Académie islamique du Fiqh, etc.

Il faut rappeler, en ce qui concerne les droits de l'homme, que la Charte de l'O.C.I. de 1972 (4) n'a pas négligé cette question car elle attache de l'importance à la promotion et à la protection de ces droits. Ainsi, le préambule de cette Charte mentionne des principes de liberté, d'égalité et de justice. Trois articles de celle-ci traitent également des droits de l'homme, ce sont les articles : II, IV et V (5).

D'autre part, la Conférence des ministères des Affaires étrangères de l'O.C.I. a adopté deux déclarations des droits de l'homme : la Déclaration de Decca sur les droits de l'homme en Islam de 1983 et la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam de 1990 (6).

Les critiques adressées à ces deux déclarations, surtout à la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam (7), ont mis les spécialistes, les experts et les militants des droits de l'homme dans le monde arabo-musulman, dans un état d'attente et d'observation dans l'espoir qu'une réunion d'un organe de l'O.C.I ou un Sommet de celle-ci pourraient apporter quelques modifications ou apporter des améliorations soit au niveau des structures de l'Organisation car il n'a y aucun organe qui traite directement de la question des droits de l'homme au sein de l'O.C.I, soit au niveau de la Déclaration du Caire qui est en régression par rapport à d'autres déclarations islamiques (8) et d'autres déclarations internationales comme la Déclaration universelle des droits de l'homme (9).

Trois documents de ce Sommet exceptionnel ont abordé directement la question des droits de l'homme. Nous retrouvons premièrement « Le programme d'action décennal pour faire face aux défis auxquels la Oummah islamique se trouve confrontée au 21eme siècle ». Il y a deuxièment la « Recommandation de la commission de l'O.C.I. des éminentes personnalités », et troisièmement le rapport du Secrétaire général de l'O.C.I. intitulé : « Une nouvelle vision pour le Monde musulman : la solidarité dans l'action ».

Nous allons examiner quelques dispositions de ces documents à travers les points suivants : les droits de la femme (Section 1), les droits de l'enfant (Section 2), la création d'un organe des droits de l'homme (Section 3), l'adoption d'une Charte des droits de l'homme (Section 4), le respect des droits de l'homme (Section 5), et les droits politiques et humains des minorités musulmanes (Section 6).

Section 1. Les droits de la femme

Nous voulons attirer l'attention en premier lieu sur la « Recommandation de la commission de l'O.C.I. des éminentes personnalités » qui affirme que « Les femmes musulmanes ont des droits égaux avec les mâles,... ».

Cette affirmation de l'égalité en droit entre les hommes et les femmes est très significative au moment où quelques documents de l'O.C.I. ne parlent de l'égalité entre les homme et les femmes que en dignité comme par exemple la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam de 1990 !

Les femmes ne sont pas seulement les égales des hommes en droits mais elles ont le droit de « quérir le savoir » et d'avoir une chance égale pour jouer leur rôle dans la société musulmane « conformément aux valeurs islamiques d'égalité et de justice » mentionnées plus loin dans cette recommandation.

D'autre part, plusieurs points dans « Le programme d'action décennal pour faire face aux défis auxquels la Oummah islamique se trouve confrontée au 21eme siècle » méritent d'être soulevés :

  1. L'accélération de l'élaboration de « la Convention sur les droits de la femme en Islam » conformément à la résolution 60/27-P. L'élaboration et l'entrée en application de cette Convention seront une étape très importante dans le Monde musulman. Une telle Convention permettra, sans doute, d'affirmer et d'améliorer les droits des femmes dans les Etats membres de l'O.C.I. Mais, il y a là une confusion quand le programme précise que cette élaboration doit être conforme à la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam car cette Déclaration ne parle que de l'égalité entre les hommes et les femmes en dignité et non en droits !
  2. L'invitation lancée aux Etats membres de l'O.C.I. de ratifier la Convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination contre la femme et son protocole additionnel. Cette invitation est très importante car elle montre une reconnaissance de la part de l'O.C.I et ses membres des normes adoptés par cette Convention et la nécessité d'intégrer ces normes dans les lois internes de ces Etats.
  3. Le renforcement des législations nationales des Etats membres de l'O.C.I pour promouvoir le progrès des femmes dans les domaines économique et social par l'éducation et l'alphabétisation, et dans le domaine politique. Et, ce dernier domaine est très important car il permet à la femme de participer à la vie politique de son pays et d'accéder aux fonctions importantes, d'une part, et montre, d'autre part, comme l'a souligné ce programme que l'Islam « en tant que religion garantissant le respect de tous les droits des femmes et encourageant leur participation à tous les domaines de l'existence ».

Section 2. Les droits de l'enfant

Le programme d'action décennal encourage « les Etats islamiques à signer et à ratifier la convention de l'O.C.I. sur les droits de l'enfant en Islam » mais cette convention n'existe pas à notre connaissance. Les rédacteurs de ce programme ont sûrement confondu (10) cette convention avec le Covenant des droits de l'enfant en Islam (11) adopté le 30 juin 2005 (12).

D'autre part, ce programme invite les Etats membres de l'O.C.I. à ratifier la Convention internationale sur les droits de l'enfant et ses deux protocoles additionnels (13).

Section 3. Un Organe des droits de l'homme

Le programme demande à la Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères de l'O.C.I. d'envisager « la possibilité de mettre en place un organe permanent et indépendant pour promouvoir les droits de l'homme dans les Etats membres conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam ».

Plusieurs questions se posent concernant cette demande :

  1. S'il y a une réelle volonté pour créer un organe « permanent et indépendant » s'occupant de la question des droits de l'homme au sein de l'O.C.I pourquoi limiter son rôle à la promotion ? Les différents organes des droits de l'homme fonctionnant au sein des organisations régionales ou créés par des conventions régionales des droits de l'homme s'occupent des questions de la promotion et de la protection des droits de l'homme. Ainsi, ce fut le cas de la Commission interaméricaine des droits de l'homme créée en 1959 (14), organe de l'Organisation des Etats américains, et organes de la Convention américaine des droits de l'homme de 1969. La Commission africaine des droits de l'homme et des peuples, organe de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 (15), joue un rôle de promotion et de protection des droits de l'homme dans les Etats ayant ratifiés cette Charte.
  2. Cet organe doit être créé « conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam ». Mais, il n'y a aucune disposition dans cette Déclaration qui fait référence à quelque organe, d'une part. D'autre part, une déclaration est dépourvue en principe d'un mécanisme ou d'un organe chargé d'une mission de promotion ou de protection.
  3. Comment pouvons-nous expliquer cette phrase ? Est-ce qu'il y a eu une confusion (16) dans l'esprit des rédacteurs de ce programme ? Est-ce qu'ils ont voulu dire : « pour appliquer « les dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam » plutôt que « conformément aux dispositions de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam » ?

Section 4. Une Charte des droits de l'homme

Le programme a chargé la Conférence des ministres des Affaires étrangères de l'O.C.I « d'élaborer une charte des droits de l'homme ». Mais qu'est-ce que les rédacteurs de ce programme voulaient dire exactement par « une charte », et quelle sera la nature de celle-ci, et où pouvons-nous la situer par rapport aux Déclarations du Dacca et du Caire sur les droits de l'homme en Islam ?

Les décennies 80 et 90 ont vu l'adoption des déclarations dépourvues de toutes obligations vis-à-vis de ces Etats membres. Nous pensons que l'O.C.I cherche aujourd'hui, et suite à ce Sommet exceptionnel, à franchir le pas et à adopter une charte établissant les droits de l'homme et ses libertés fondamentales. Il vise également à instaurer un mécanisme de protection car chaque charte dispose d'un mécanisme de protection.

Section 5. Le respect les droits de l'homme

Par quels moyens les Etats membres de l'O.C.I pourront respecter les droits de l'homme ? Le programme nous indique le chemin car il appelle ces Etats « à modifier leurs législations et réglementations nationales afin de garantir le respect des droits de l'homme ».

C'est une reconnaissance de la nécessité de modifier les législations nationales pour qu'elles soient compatibles aux normes internationales des droits de l'homme, et c'est aussi un défi pour que ces Etats se conforment aux dispositions des différentes conventions internationales relatives aux droits de l'homme auxquelles ils appartiennent.

Section 6. Droits politiques et humains des minorités musulmanes

Le Secrétaire général de l'O.C.I a traité cette question dans son rapport intitulé : « Une nouvelle vision pour le Monde musulman : la solidarité dans l'action » sous plusieurs angles :

A. Le droit des minorités musulmanes

Le droit des minorités musulmanes de jouir des droits élémentaires de l'homme. C'est une question presque à l'ordre du jour de chaque Sommet islamique. Mais deux aspects sont liés à cette question :

  1. Les droits élémentaires des minorités musulmanes. Les membres de ces minorités bénéficient de ces droits en tant que citoyens ou résidents dans les différents pays. Les constitutions et les lois de ces pays garantissent ces droits élémentaires et les tribunaux nationaux veillent à leur respect. Nous pensons que les minorités vivant en Europe ont plus de chance que celles habitant ailleurs car ils peuvent bénéficier, par exemple, de la protection du système européen de protection des droits de l'homme, un système très développé par rapport à d'autres systèmes régionaux de protection des droits de l'homme. Il faut parler plutôt de la méconnaissance des membres des minorités musulmanes de leurs droits et de l'existence des systèmes de protection droits de l'homme que de leurs droits élémentaires, et c'est le deuxième aspect de cette question.
  2. La promotion de ces droits dans le milieu des minorités musulmanes. Ces dernières doivent être conscientes de leurs droits pour en bénéficier. Or, les efforts de l'O.C.I. en Europe sont rares s'ils ne sont pas quasi nuls. Ce sont les associations et les organisations non gouvernementales (ONG) qui se chargent, dans la majorité des cas, de sensibiliser ces minorités à leurs droits en organisant des réunions et des séminaires. Il faut, à notre avis, rétablir le contact entre ces associations et ONG avec les bureaux et les représentants de l'O.C.I en Europe et coordonner leurs actions dans ce domaine.

B. La coopération entre l'O.C.I. et les autres organisations internationales

Cette coopération entre l'O.C.I. et les autres organisations internationales comme les Nations Unies, l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, l'OSCE, l'Union africaine, etc. Il est très important et très vital d'avoir une telle coopération surtout dans le domaine des droits de l'homme. Il faut, à notre avis, que les fonctionnaires de l'O.C.I. chargés des question des droits de l'homme soient familiers avec les normes internationales et régionales de protection des droits de l'homme grâce aux réunions, séminaires, sessions de formations organisés par ces organisations internationales, ce qui permettra à ces fonctionnaires d'en tirer profit dans leur travail au sein de l'O.C.I.

C. Le statut des observateurs

L'octroi du statut d'observateur auprès de l'O.C.I. aux ONG représentant des minorités musulmanes. Le fait de mentionner les ONG dans le rapport du Secrétaire général montre, d'une part, la reconnaissance de celles-ci au moment où plusieurs Etats membres nient leur existence ou interdisent leurs réunions, ou mettent des bâtons dans les roues de leurs travaux. Il montre, d'autre part, l'importance de leur rôle dans le domaine de la défense des droits des minorités musulmanes dans les pays européens et américains.

Le Secrétaire général propose à ces ONG d'avoir le statut d'observateur pas seulement auprès de l'O.C.I mais aussi auprès d'autres Organisations internationales ce qui facilitera, sans doute, l'accomplissement de leurs tâches et la réalisation de leurs objectifs.

Les progrès réalisés par ce Sommet islamique, et les documents et décisions adoptés par celui-ci ne sont pas restés des lettres mortes. Ils ont été repris et renforcés par les documents, décisions et communiqués finaux du 11e Sommet islamique de Dakar 2008.

II - Le Sommet islamique de Dakar de 2008

Le 11e Sommet islamique tenu à Dakar (Sénégal) les 13 et 14 mars 2008, a franchi une nouvelle étape dans son histoire en apportant des nouvelles modifications à la Charte de l'Organisation de la Conférence Islamique (O.C.I.) (17) adoptée en 1972.

Ce serait très long de rentrer dans les détails des nouvelles modifications de la Charte de l'O.C.I. Nous allons examiner, dans cette partie, celles concernant le respect des droits de l'homme, et surtout celles en rapport avec les documents et décisions adoptés par le Sommet islamique exceptionnel de 2005, et spécialement : le préambule de la Charte modifiée (Section 1), ses objectifs et ses principes (Section 2), les nouveaux organes de l'Organisation (Section 3), et les dispositions essentielles du communiqué finale du Sommet (Section 4).

Section 1 - Le préambule

Les Etats membres de l'O.C.I. réaffirment dans la Charte modifiée leur attachement aux principes « de la Charte des Nations Unies », et du « Droit International », d'une part.

D'autre part, plusieurs paragraphes de ce préambule sont nouveaux et consacrés au respect des droits des droits de l'homme. Ainsi, les Etats membres sont déterminés à :

  1. Promouvoir « les droits de l'Homme et les libertés fondamentales, ..., l'Etat de droit, la démocratie, ... » (Pp.7) (18). C'est un engagement clair et net de la part des Etats membres de l'Organisation aux principes et règles reconnus par la communauté internationale.
  2. Préserver et à promouvoir « les droits de la femme et à favoriser leur participation effective dans tous les domaines de la vie » (Pp. 15). Ce paragraphe nous rappelle la « Recommandation de la commission de l'O.C.I. des éminentes personnalités » qui a été prise lors du Sommet islamique exceptionnel de 2005 qui affirme que « Les femmes musulmanes ont des droits égaux avec les mâles,... ». Ce qui nous permet d'insister de nouveau sur cette affirmation de l'égalité en droit entre les hommes et les femmes. Cette affirmation est associée, grâce à ce paragraphe, à une volonté de la part des responsables des Etats membres de l'Organisation de favoriser la participation effective de la femme dans tous les domaines de la vie. Mais cette participation doit être, et d'après également ce paragraphe, conforme aux « lois et législations des Etats Membres ». Ce qui limite à notre avis, le champ d'application de ce paragraphe car les lois et les législations dans quelques Etats islamiques limitent la pleine participation de la femme à la vie politique.
  3. Soutenir les buts « du droit international humanitaire » (Pp.18). Ce soutien aux buts de ce droit nous rappelle les articles 3 de la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam de 1990. Cet article 3 évoque les principes du droit international humanitaire à travers l'interdiction, en cas de recours à la force ou de conflits armés, « de tuer les personnes qui ne participent pas aux combats, tels les vieillards, les femmes et les enfants », ou « l'abattage des arbres, la destruction des cultures ou du cheptel, et la démolition des bâtiments et des installations civiles de l'ennemi par bombardement, dynamitage ou tout autre moyen». L'article 3 parle aussi du droit du blessé et du malade d'être soigné, de l'échange de prisonniers, de leur droit d'être nourris, hébergés et habillés, et de la réunion des familles séparées. Ainsi, le préambule de la Charte modifiée confirme, si on en a besoin, le respect des règles du droit international humanitaire par les Etats membres de l'O.C.I.

Section 2 - Les objectifs et les principes

Ces objectifs et principes sont exposés dans les articles 1er et 2, chapitre 1er de la Charte modifiée de l'O.C.I.

A. Les objectifs

Nous trouvons parmi les nouveaux objectifs :

  1. Le soutien aux droits des peuples « tels que stipulés par la Charte des Nations Unies et par le droit international » (art. 1 para. 7). Cette affirmation d'une règle connue et reconnue en droit international, à savoir : le droit des peuples à l'autodétermination s'inscrit dans les buts de l'O.C.I. depuis sa création concernant spécialement le soutien du peuple palestinien à recouvrir son droit inaliénable et son droit de créer son Etat souverain.
  2. La promotion et la protection des droits de l'hommes et des droits fondamentaux « y compris les droits des femmes, des enfants, des jeunes, des personnes âgées et des personnes à besoins spécifiques... » (art. 1er, para. 14). Ainsi nous sommes en présence d'un nouveau but parmi les buts de l'Organisation, d'une part. D'autre part, ce paragraphe couvre plusieurs aspects de la protection souhaitée concernant différentes catégories des personnes, à savoir : les femmes, les enfants, les personnes âgées, les handicapés. Nous rappelons que l'O.C.I. a adopté deux textes concernant la protection des enfants, à savoir : la Déclaration sur les droits et la protection de l'enfant dans le Monde islamique en 1994 (19), et le Covenant des droits de l'enfant en Islam en 2005.
  3. Un des objectifs de l'O.C.I., de l'article 1er para. 14, est de « veiller à la sauvegarde des valeurs inhérentes à la famille musulmane ». Nous comprenons les soucis des rédacteurs de la Charte modifiée d'insister sur l'importance des valeurs de la famille musulmane et la nécessité de protéger ces valeurs, mais pourquoi limiter cette protection aux valeurs des familles musulmanes ? Les autres familles non musulmanes vivant dans les Etats islamiques ont aussi leurs valeurs et elles méritent d'être protégées et sauvegardées au même titre que les familles musulmanes.

B. Les principes :

Les Etats membres de l'Organisation doivent être guidés et inspirés, d'après l'article 2 de la Charte par plusieurs principes. Ainsi, ils doivent :

  1. Soutenir et favoriser, tant au niveau national ou international « la bonne gouvernance, la démocratie, les droits humains, les libertés fondamentales et l'Etat de droit» (art. 2, para. 7).
  2. Veiller « à la protection et à la sauvegarde de l'environnement », (art. 2, para. 8).

Ces deux paragraphes sont nouveaux par rapport à la Charte avant les modifications apportées par le dernier Sommet islamique.

Section 3 - Les nouveaux organes

Les modifications apportées à la Charte de l'O.C.I. ont permis de créer un nouvel organe, d'un côté, et de consacrer un article à un organe déjà existant.

A. La Commission Permanente Indépendantes des Droits Humains (20)

Il n'y avait pas d'organe au sein de l'O.C.I. chargé des questions des droits de l'homme. Grâce aux nouvelles modifications, une Commission Permanente Indépendante des Droits Humains a été créée par l'article 15, Chapitre X.

Cette Commission permanente (21) a pour but de « favoriser les droits civiques, politiques, sociaux et économiques consacrés par les conventions et déclarations de l'Organisation, ainsi que par les autres instruments universellement reconnus, en conformité avec les valeurs Islamiques » (22).

Ce nouveau article mérite quelques explications :

  1. Ce nouveau article a répondu, d'une façon ou d'une autre, à nos questions posées concernant « Le programme d'action décennal pour faire face aux défis auxquels la Oummah islamique se trouve confrontée au 21eme siècle » adopté lors du Sommet islamique exceptionnel de 2005.

    Ainsi, la principale tâche de cette Commission est de « favoriser » plusieurs catégories des droits : politiques, sociaux et économiques. Dès lors, c'est une tâche de « promotion » et non de « protection » des droits humains qui a été confiée à cette Commission (23). Il y a une différence entre ces deux tâches. Ainsi, la tâche de la protection est plus forte et plus contraignante et elle suppose l'existence d'un mécanisme de protection, par contre, la tâche de promotion est plus souple et elle ne repose sur aucun mécanisme.

  2. Cet article 15 cite « les conventions et déclarations de l'Organisation », d'un côté, et « les autres instruments universellement reconnus », ce qui signifie que la Commission doit promouvoir tous les droits politiques, sociaux et économiques dans les instruments adoptés par les différentes Organisations internationales, et à leur tête l'Organisation des Nations unies. Ce qui met fin, à notre avis, à toutes les polémiques concernant la reconnaissance de l'O.C.I. des déclarations et des conventions internationales reconnues par les Nations unies.

  3. Cet article incombe à la Commission de favoriser « les droits civiques, politiques, sociaux et économiques » mais où sont les droits « culturel » ? Pourquoi ceux qui ont proposé de modifier la Charte ont négligé de mentionner les droits culturels ?

  4. La Commission doit favoriser les droits civiques, politiques, sociaux et économiques mais « en conformité avec les valeurs Islamiques ». Dès lors, une définition claire et nette de ces valeurs est nécessaire pour ne pas limiter le champ d'application de ces droits, en évoquant quelques interprétations incompréhensibles de ces valeurs.

  5. L'article 15 ne précise pas si les membres de la Commission sont des représentants des Etats membres de l'Organisation ou des experts élus par les organes de l'Organisation. Nous espérons que ses membres seraient élus à titre personnel en tant qu'experts (24) et non en tant que représentants des Etats membres.

  6. Il est nécessaire que la Commission établisse ses règles intérieures pour son bon fonctionnement.

B. La Cour Islamique Internationale de Justice

La Charte modifiée a consacré un article à la « Cour Islamique Internationale de Justice », (L'article 14, chapitre IX).

Une des modifications de la Charte a déjà créé cette Cour en 1987 (25). La modification actuelle fait de cette Cour « l'organe judiciaire principal de l'Organisation » ce qui permettra aux Etats membres de l'O.C.I. de soumettre leurs différents à celle-ci mais « à compter de la date d'entrée en vigueur de ses statuts ».

Section 4. Quelques dispositions du communiqué final du Sommet de Dakar (26)

Quelques dispositions du communiqué final de ce Sommet méritent d'être soulignées :

  1. L'Universalité des droits de l'homme (§ 105, § 106 et § 112). Ainsi, le communiqué final de ce Sommet a insisté sur cette universalité, ce qui montre, à notre avis, l'attachement de l'O.C.I aux différents textes des droits de l'homme élaborés et adoptés par la communauté internationale. Mais il est important pour les rédacteurs de ce Communiqué que cette communauté « traite les questions des droits de l'homme objectivement et de façon indivisible », d'une part.

    D'autre part, le paragraphe 112 du communiqué revient sur la nécessité de traiter les droits de l'homme « sur une base objective et indivisible, sans aucune sélectivité ni discrimination ». Celui-ci réaffirme aussi le droit des Etats membres « à adhérer à leurs spécificités religieuses, sociales et culturelles » car ces Etats n'acceptent pas l'universalité des droits de l'homme « comme prétexte pour s'immiscer dans les affaires intérieures des Etats et porter atteinte à leur souveraineté nationale », d'un côté. Le communiqué, d'un autre côté, demande aux Etats islamique de « saisir l'occasion de la célébration du 60ème anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme pour faire connaître et mettre en relief le concept des droits de l'homme selon la vision islamique » (§ 106).

    Cette question des spécificités religieuses, sociales et culturelles est très importante et sensible aux yeux des Etats islamiques. Et si nous sommes d'accord pour respecter ces spécificités, nous sommes contre son utilisation pour ne pas respecter des engagements ou émettre des réserves, aux conventions des droits de l'homme, quand ces réserves sont contraires aux buts de ces conventions ou quand celles-ci vident les conventions de leurs essences.

  2. La rédaction des conventions des droits de l'homme (§ 105). Le communiqué a appelé à la rédaction du « covenant islamique sur les droits de l'homme », du « covenant sur les droits de la femme en Islam », et à finaliser la rédaction du « covenant islamique sur la discrimination raciale ». Cet appel s'inscrit dans la ligne droite de la nouvelle politique de l'O.C.I., déjà affirmée dans les documents du 11e Sommet et dans ceux du Sommet exceptionnel de 2005, à savoir : l'élaboration des textes protégeant les droits de l'homme, pour être adoptés plus tard par les Etats membres de l'Organisation.

  3. La création d'un organe indépendant pour la promotion des droits de l'homme dans les Etats membres (§ 105). Cette partie du paragraphe 105 du communiqué final n'est pas très claire ! Est-ce que le paragraphe encourage les Etats membres de l'Organisation à créer leur propres organes de promotion des droits de l'homme, ou parle-t-il de la Commission Permanente Indépendante des Droits Humains (l'article 15, Chapitre X de la Charte modifiée) ?

    L'initiative dans les deux cas est bonne, mais une question se pose dans la première hypothèse : sur quelle base seront crées ces organes ? Nous pensons que « Les principes de Paris » concernant la création des commissions nationales des droits de l'homme sont la meilleure base de cette création (27).

  4. La création du poste de Haut commissaire des droits de l'homme au sein de l'O.C.I.(§ 105). C'est une initiative très importante et très significative et pour plusieurs raisons :

    1. Par la création de ce poste, l'O.C.I. suit l'exemple de l'O.U.N. qui a son Haut commissaire des droits de l'homme (28), et l'exemple d'une organisation régionale en l'occurrence le Conseil de l'Europe (29).
    2. Il très important de créer un tel poste qui permettra ensuite de coordonner les efforts et les travaux des différents organes de l'O.C.I. dans le domaine des droits de l'homme, d'une part. D'autre part, ce poste permettra de nouer des contacts et de renforcer la collaboration entre le Haut commissaire et les autorités compétentes, les institutions nationales et les ONG dans les Etats membres de l'Organisation.
    3. La création de ce poste est éminente car le communiqué demande au Secrétariat général de l'Organisation de préparer un projet concernant la création de ce poste et de le présenter à « la prochaine session de la Conférence islamique des ministres des Affaires étrangères ».
  5. L'Islam et les droits de l'homme (§ 106, et §113). Le communiqué parle de la « vive préoccupation au sujet des tentatives répétées d'associer injustement l'Islam aux violations des droits de l'homme ». Cette préoccupation est réelle et plusieurs exemples illustrent les tentatives d'associer, sans aucune raison, l'Islam aux violations des droits de l'homme.

    D'autre part, le communiqué s'élève contre les tentatives « de créer une nouvelle forme d'idéologie de culture unique » imposée par les pays industriels aux pays en voie de développement au détriment « de leurs identités culturelles, voir moyennant la perte de celles-ci », d'où la salutation adressée dans le Communiqué à la création du « Centre des Droits de l'Homme et de la Diversité culturelle du Mouvement des Non-alignés » à Téhéran.

  6. Les relations avec les organes des droits de l'homme des Nations unies pour les droits de l'homme (§ 107, § 114). Ainsi, le communiqué a salué les efforts déployés par le Secrétariat général de l'Organisation auprès des organes des droits de l'homme de l'O.N.U. (le Conseil des droits de l'homme, le Bureau des Nations Unies à Genève) (§ 107). Il a également salué les activités du (Groupe d'experts intergouvernemental sur le suivi et la Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam). Et, le communiqué a invité le sous-comité de ce Groupe (30) de poursuivre leurs activités dans « le domaine de la promotion de la « Charte islamique sur les droits de l'homme » et les conventions islamiques sur les questions des droits de l'homme conformément à la résolution Nº. 60/27-P » (§ 114) (31).

Conclusion

Nous ne pouvons pas cacher notre satisfaction à propos des décisions et des documents finaux du Sommet islamique exceptionnel de 2005, comme l'affirmation de l'égalité en droit entre les hommes et les femmes, le projet de l'élaboration d'une « Convention sur les droits de la femme en Islam », l'adoption d'une Charte des droits de l'homme, ou la création d'un organe qui s'occupera des droits de l'homme au sein de l'O.C.I.

Le 11e Sommet islamique de 2008 a confirmé, d'un côté, les décisions prises par le Sommet exceptionnel comme la création de la Commission Permanente Indépendante des Droits Humains, et a réaffirmé, d'un autre côté, les projets d'adoption de plusieurs textes relatifs aux droits de l'homme, ou la création du poste de Haut commissaire des droits de l'homme.

D'autre part, la Charte modifiée de l'O.C.I. reflète aujourd'hui la bonne volonté des dirigeants des Etats islamiques de faire de cette Organisation une des grandes Organisations régionales sur la scène internationale, d'un côté. D'un autre côté, la Charte modifiée a permis de rattraper l'inefficacité de quelques organes de l'Organisation, l'absence de quelques organes essentiels et le dans le domaine de la promotion et de la protection des droits de l'hommes dans les Etats membres de l'O.C.I.


Notes

*. Article publié dans : I Tre Anelli, les trois anneaux, revue des trois cultures monothéistes, Strasbourg, nº 15, avril 2008, pp. 23-43.

1. Voir à propos de la création de l'Organisation de la Conférence Islamique, AL-MIDANI M. A., « Le mouvement du panislamisme : son origine, son développement, et la création de l'Organisation de la Conférence Islamique »,le Courrier du Geri. Recherches d'islamologie et de théologie musulmane, 5-6 années, volumes 5-6, nº 1-2, 2002-2003, pp. 109-117 (Ci-après, AL-MIDANI, Le mouvement du panislamisme).

2. Le 1er Sommet exceptionnel se réunit à Islamabad (Pakistan) en mars 1997, et le 2e à Doha (Qatar) en mars 2003.

3. Vous pouvez prendre connaissance de ceux-ci en consultant le site de l'O.C.I..

4. Voir le texte de cette Charte dans AL-MIDANI M. A., Les droits de l'homme et l'Islam. Textes des Organisations arabes et islamiques. Préface Jean-François Collange, Association des Publications de la Faculté de Théologie Protestante, Université Marc Bloch, Strasbourg, 2003, pp. 59 et s. (Ci-après, AL-MIDANI, Les droits de l'homme et l'Islam).

5. Voir, AL-MIDANI M. A., « L'Organisation de la Conférence Islamique et les Droits de l'Homme », Turkish Yearbook of Human Rights, vol.16, 1994, pp. 73-86.

6. Voir les textes de ces Déclarations, Ibid. pp. 67 et s., et pp.72 et s.

7. AL-MIDANI M.A., « Les Déclarations islamiques des droits de l'homme », Oumma, mars 2005.

8. AL-MIDANI M.A., « La Déclaration universelle des Droits de l'Homme et le droit musulman » dans : Lectures contemporaines du droit islamique. Europe et monde arabe, sous la direction de Franck Frégosi. Collection de l'Université Robert Schuman, Société, Droit et Religion en Europe, Presses Universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 2004, p. 154-186.

9. AL-MIDANI M.A., « La Déclaration du Caire sur les droits de l'homme en Islam est-elle conforme à la Déclaration universelle des droits de l'homme ? », Revue Égyptienne de Droit International, vol. 60, 2004, pp. 31-43

10. Nous retrouvons les mêmes confusions dans les versions anglaise et arabe de ce programme ! (Nous rappelons que les trois langues officielles de l'O.C.I. sont : l'anglais, l'arabe et le français).

11. Voir le texte de ce Covenant en consultant le site de l'O.C.I..

12. Voir à propos de ce Covenant, AL-MIDANI M. A., « La protection des droits de l'enfant au sein de l'Organisation de la Conférence Islamique », dans Vingt ans de l'IDHL. Parcours et réflexions, Cahier spécial, Institut de Droits de l'Homme de Lyon, Lyon, 2006, pp.121-135.

13. Tous les Etats islamiques membres de l'O.C.I. ont ratifié la Convention des droits de l'enfant adoptée par l'Assemblée générale des Nations unies le 20/11/1989 et entrée en vigueur le 2/9/1990, sauf la Somalie.

14. Voir à propos de cette Commission, SANTOSCOY B., La Commission interaméricaine des droits de l'homme et le développement de sa compétence par le système des pétitions individuelles, Paris, Puf, 1995.

15. Voir à propos de cette Commission, OUGUERGOUZ F., La Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Une approche juridique des droits de l'homme entre tradition et modernité, Paris, Puf, 1993.

16. Nous retrouvons la même confusion dans les versions anglaise et arabe !

17. Voir la Charte de l'O.C.I. modifiée sur le site de l'Organisation.

18. Les rédacteurs de la Charte modifiée emploient soit l'expression « les droits de l'Homme », soit l'expression « droits humains ». Mais cette dernière expression est employée plus fréquemment.

19. Voir le texte de cette Déclaration dans AL-MIDANI, Les droits de l'homme et l'Islam, pp. 79 et s.

20. Nous avons lancé, dans un article publié en janvier 2006, un appel aux experts de l'O.C.I en leur proposant d'étudier les différentes conventions régionales des droits de l'homme et surtout leurs mécanismes de protection avant de créer un organe des droits de l'homme au sein de cette Organisation. Voir AL-MIDANI M. A., « Le dernier Sommet islamique et les droits de l'homme », Oumma, janvier 2006. (Ci-après, AL-MIDANI, Le dernier Sommet islamique).

21. C'est intéressant de noter qu'il y a une Commission permanente arabe pour les droits de l'homme au sein de la Ligue des Etats arabes. Voir à propos de cette Commission, AL-MIDANI, Les droits de l'homme et l'Islam, pp. 7 et s.

22. Il faut signaler que la traduction en langue arabe de cet article 15 n'est pas fidèle aux versions anglaise et française. Dans ces deux dernières versions, il y a le mot « instruments » traduit en langue arabe par « Chartes » ce qui renvoie aux chartes, conventions, pactes etc...., par contre le mot « instrument » renvoie aux chartes, conventions, pactes et déclarations, principes, règles etc...., c'est-à-dire aux textes avec force obligatoire et d'autres dépourvus de force obligatoire. Dès lors, l'utilisation de «mot « instruments » est plus générale, plus signifiante, et plus juste.

23. Nous avons proposé dans un de nos articles que la Commission soit chargée de deux tâches : promotion et protection des droits de l'homme, Voir AL-MIDANI, Le dernier Sommet islamique.

24. Comme ce fut le cas des membres de la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Voir, l'article 36 de la Convention américaine des droits de l'homme de 1969.

25. Voir concernant cette Cour et ses statuts, AL-MIDANI M. A., « La Cour Islamique Internationale de Justice : Un organe judiciaire musulman », Revue des Sciences Juridiques, publiée par l'Institut des Sciences Juridiques et Administratives, Université d'Anabaa, Algérie, nº 8, juin 1996, pp. 61-66.

26. OIC/SUM-11/2008/FC-FINAL

27. Voir à propos des (Principes de Paris), la résolution adoptée par l'Assemblée générale des nations unies (A/RES/48/134), du 4/3/1994.

28. C'est Mme Louise ARBOUR qui est le Haut commissaire des Nations unies pour les droits de l'homme. Voir le website du Haut Commissariat des droits de l'homme des Nations unies.

29. C'est M. Thomas HAMMARBERG qui est le Haut commissaire du Conseil de l'Europe pour les droits de l'homme. Voir le website du Haut Commissariat des droits de l'homme du Conseil de l'Europe.

30. Nous devons avouer que nous n'avons aucune idée concernant ce Groupe et son sous-comité, et tous mes essais pour trouver des informations sur celui-ci et sur le sous comité et leurs activités ont échoué !

31. Nous pensons que ce paragraphe parle du « Covenant islamique des droits de l'homme », et l'emploi du mot « Charte » a été une faute. Et, nous retrouvons la même confusion dans les versions anglaise et arabe !